Toute l'actualité de l'engagement actionnarial par PhiTrust


Notre impact:
- 1450 initiatives privées
- 120 initiatives publiques
- 27 résolutions externes déposées

Depuis plus de dix ans, nous croyons que l’éthique du management et la gouvernance ont un rôle fondamental au sein des entreprises dans lesquelles nous investissons pour le compte de nos clients.
Face aux défis immenses de la crise que nous vivons aujourd’hui, nous sommes de plus en plus convaincus que nos entreprises cotées en Europe ont besoin d’actionnaires minoritaires actifs qui les aident à développer des stratégies innovantes pour répondre aux enjeux financiers, commerciaux et sociaux de notre monde actuel, et nous essayons d’y contribuer par notre stratégie d’investissement.

23 novembre 2017

À quoi servent les chartes éthiques ?

Airbus est soupçonné d'avoir organisé des circuits parallèles de financement pour gagner des contrats de vente d'avions ; même si cela n'est pas encore jugé et même si cela ne concernerait qu'une faible partie de l'activité, cela met en exergue une nouvelle fois certaines pratiques contraires à l'éthique des entreprises.

Airbus a pourtant, comme la plupart des grands groupes cotés des pays de l'OCDE, publié une charte éthique qui met en avant des règles de transparence et d'éthique que doivent suivre l'ensemble des collaborateurs. Conscients de la difficulté de les rendre opérationnelles dans des grands groupes mondiaux, avec des collaborateurs aux cultures parfois différentes, certains groupes ont mis en avant des systèmes anonymes de lanceurs d'alertes pour faciliter la remontée d'informations sensibles pouvant mettre en cause la réputation des entreprises elles-mêmes.

La question soulevée par l'affaire Airbus à la suite des précédents comme Alstom pose la question centrale du rôle de la direction générale et du conseil d'administration. Étaient-ils conscients de ces opérations, les ont-ils cautionnées voire organisées ? La justice saura certainement répondre à cette question et il n'est pas de notre ressort de juger par avance qui que ce soit. 

Par contre,  il est du devoir des actionnaires d'interpeller les conseils d'administration sur la cohérence entre la charte éthique et la réalité de certaines pratiques qui semblent avoir été mises en place au sein de l'organisation. Cette question est centrale car si ces faits étaient confirmés, ils amèneraient à considérer que ce type de pratiques n'a pas été remis en cause, malgré la publication d'une charte éthique ; il y aurait là un sujet central pour la gouvernance de l'entreprise. De même, si la pression exercée par les dirigeants pour gagner des contrats a amené certains collaborateurs à accepter des pratiques contestables, il y a une question centrale de pilotage de l'entreprise.

Nous entrons là dans la vie quotidienne des entreprises, où certains sont prêts à toutes les compromissions pour atteindre le but recherché, sans se préoccuper des dégâts potentiellement très importants pour la réputation de l'entreprise et donc pour sa survie à terme. Cette question de réputation est centrale dans la définition d'une charte éthique au sein d'une entreprise. Pour avoir oublié cette « évidence », Arthur Andersen et Enron n'existent plus, et ce alors même que la plupart des collaborateurs n'ont à aucun moment été impliqués... Il serait dommage que de grands groupes se retrouvent dans une situation équivalente parce que la charte éthique n'a pas été respectée...

Nous avons été étonnés de découvrir que dans beaucoup d'entreprises, il n'y avait pas eu de débat au sein du conseil d'administration sur les chartes éthiques publiées ni sur des règles à mettre en place au sein de l'entreprise, alors même que cela pouvait avoir un impact sur les ventes, les achats... Il nous semble urgent que tous les conseils d'administration s'emparent de cette thématique et définissent un code, une charte qui réponde à l'objectif recherché, tout en s'assurant qu'elle tient compte de la réalité de l'entreprise, afin de ne pas se retrouver « écartelé » entre une réalité malheureusement bien concrète et une charte inapplicable.

Les actionnaires ont un rôle à jouer pour accompagner les entreprises vers plus d'éthique, de transparence, même si le processus pour s'assurer que l'ensemble des collaborateurs y adhèrent est long et parfois semé d'embûches !




PS : l'affaire Alstom et la condamnation du directeur Asie, licencié par la société alors qu'il avait plaidé coupable, doit tous nous interpeller car il est le seul à avoir été condamné... 


Olivier de Guerre
Phitrust

26 octobre 2017

What is our role as shareholders?

Alstom has announced with Siemens a reserved capital increase that will give Siemens 50% control. No public tender offer will be required, since the price is 13% above the last stock market price. 

Although there had been rumours, surprise surprise, Serge Tchuruk and Patrick Kron had always refused such an alliance when the Alstom Group was doing much better... The announcement of the sale of the railway business to Siemens comes just as one of the executives for the Asia region, Frederic Pierucci, previously indicted and imprisoned in the US, has been sentenced to 30 months in prison, without this happening to other directors.

It is true that Alstom’s directors successfully managed to sell the power and grids business to General Electric when there was a strong suspicion that they would be indicted in the US for bribery. A few years ago, we warned Alstom’s general management of the risks associated with investigations into bribery, particularly on certain emerging markets, warnings that were dismissed by Patrick Kron, who did not acknowledge these facts...

Paradoxically, Mediapart’s revelations about the family links between one of the heads of the US law firm that defended Alstom and the CEO of General Electric did not call the operation into question, necessary as it was “for the survival of Alstom and jobs in France”... 

Two days before the Alstom shareholders’ meeting, during which the shareholders voted on the sale of this business to General Electric, it was specified that the fine of USD 772 million would be paid by Alstom and not by General Electric, with a deduction of this amount from Alstom’s equity in the rail sector. For all that, the shareholders’ meeting  went ahead, even though most all the shareholders had voted before this announcement.

At the time, the board of directors, the directors of Alstom and notably its CEO Henri Poupart-Lafarge (son of the former finance director of Bouygues, an Alstom shareholder) argued that specialisation in the railway business sector was a necessity and that Alstom could grow alone, given its order backlog and expertise... How can we analyse this strategic error, which numerous analysts (including Phitrust) identified? Or rather, how can the succession of events that led to all Alstom’s activities being sold to foreign competitors be interpreted?

First of all, Serge Tchuruk’s desire to develop a “fab-less” company prompted him at the beginning of the 2000s to sell a real nugget (submarine cables, which became Nexans), then to separate Alcatel’s business from that of Alsth0om, because, according to analysts, conglomerates were under-valued.

Fears of a hefty fine following bribery scandals and the possible indictment of Alstom directors probably led to the sale of the power and grids business to General Electric, especially as this came at the same time as the staggering fine imposed on BNP Paribas. This decision was taken without any true consideration of the highly fragile nature of the railways division, a cyclical industry that is highly dependent on public procurement. Unfortunately, what happened next was what necessarily happens to an industrial model based on only one business that no longer has the resources to make its presence felt, particularly in the face of Chinese competition (to which the technology had been sold a few years before, without thinking that these customers would one day become competitors...)

The shareholders now only have two choices in response to the proposal that has been made to them:

  • to accept or reject the proposed transaction: the directors and the state (indispensable as the ordering client) believe that there is no other means of preserving industrial capacity in France and that a European solution is preferable to any other. But the price of the transaction (+13%/ stock market price) is way below that seen in mergers that have offered premiums of 30% or 50% above the market price, representing a loss of earnings of €800 million for existing shareholders, taking the proposed dilution into account.
  • to seek accountability for this strategic debacle and the sale of the power and grids business to General Electric at a price €800 million below that announced to the shareholders prior to the transaction being concluded.


This operation will lead to industrial restructuring and job losses... because the two companies, Siemens and Alstom,will be unable to keep their different production facilities and technologies unchanged. It would be strange, to say the least, if the former directors were not answerable for the decisions that led to the sale of all activities to competitors. Especially since during the period when they managed the company, their variable remuneration was substantial following the economic and financial performance, not to mention their severance packages (more than €4 million for Patrick Kron) and top-up pensions paid for by the company...

Today, investors talk about responsible investment, and it is high time they acted together to hold to account the directors that implemented these strategies, destroying value and threatening the future of the companies they managed. This is true for Alstom today, but it is equally true for other companies that we can recall all too easily.

Have you talked about Responsible Investment?


Olivier de Guerre
Phitrust

19 octobre 2017

Que faisons-nous en tant qu'actionnaire ?

Alstom  a annoncé avec Siemens une augmentation de capital réservée qui donnera à Siemens un contrôle à 50 %, et ce sans procéder à une offre publique d'achat, le prix étant supérieur de 13% au dernier cours de bourse. 

Même si le bruit avait filtré, quelle surprise, alors même que Serge Tchuruk et Patrick Kron avaient toujours refusé une telle alliance quand le groupe Alsthom allait beaucoup mieux... Cette annonce de cession de la branche ferroviaire à Siemens survient alors même que l'un des directeurs opérationnels de la zone Asie, Férédric Pierucci, qui avait été inculpé et mis en prison aux États-Unis, vient d'être condamné à 30 mois de prison, sans que ce ne soit le cas pour d'autres dirigeants.

Il est vrai que les dirigeants d'Alstom ont réussi le tour de force de vendre l'activité turbine à General Electric alors qu'il y avait une forte suspicion d'être inculpé aux États-Unis pour corruption. Nous avions averti il y a quelques années la direction générale d'Alstom des risques liés aux enquêtes pour corruption, notamment sur certains marchés émergents, avertissements qui avaient été repoussés par Patrick Kron qui ne reconnaissait pas ces faits...

Paradoxalement, les révélations de Mediapart sur les liens familiaux qui liaient l'un des responsables du cabinet d'avocat américain qui défendait Alstom et le PDG de General Electric n'a pas remis en cause l'opération, qui était « nécessaire pour la survie d'Alstom et de l'emploi en France »... 

Deux jours avant l'assemblée générale d'Alstom, durant laquelle les actionnaires votaient sur l'opération de cession de cette branche d'activité à General Electric, il a été précisé que l'amende de 772 millions de dollars serait payée par Alstom et non pas par General Electric, minorant de ce montant les capitaux propres d'Alstom recentré sur le ferroviaire. Pour autant, l’assemblée générale n’a pas été repoussée, même si quasiment tous les actionnaires avaient voté avant cette annonce.

Le conseil d'administration, les dirigeants d'Alstom et notamment son PDG Henri Poupart-Lafarge (fils de l'ancien directeur financier de Bouygues, actionnaire d'Alstom) ont à l'époque argué du fait que la spécialisation dans le ferroviaire était une nécessité et qu'Alstom pouvait se développer seul, compte tenu de son portefeuille de commandes et de son expertise... Comment peut-on analyser cette erreur stratégique, que de nombreux analystes (dont Phitrust...) avaient relevée ? Ou plutôt, comment interpréter la succession d'événements qui amène à ce que l'ensemble des activités d'Alstom soit cédé à des entreprises concurrentes étrangères ?

Tout d'abord la volonté de Serge Tchuruk de développer une société « sans usines » l'a amené au début des années 2000 à vendre une pépite (les câbles sous-marins, devenus Nexans) puis à séparer l'activité Alcatel de celle d'Aslthom, car les conglomérats étaient, de l'avis des analystes, sous-valorisés.

Les craintes d'une amende importante suite aux affaires de corruption et d'une inculpation possible des dirigeants d'Alstom ont probablement mené à la cession de l'activité turbine à General Electric, notamment car cela arrivait au même moment que l'amende vertigineuse imposée à BNP Paribas. Cette décision a été prise sans que la très grande fragilité du pôle ferroviaire, industrie cyclique et très dépendante de la commande publique, ne soit réellement considérée. La suite correspond malheureusement à la réalité qui s'impose à un schéma industriel ne reposant que sur une branche qui n'a plus les moyens de s'imposer, notamment face à la concurrence chinoise (à qui a été vendue la technologie il y a quelques années, sans penser que ces clients deviendraient un jour des concurrents...). 

Les actionnaires n'ont plus aujourd'hui que deux choix face à la proposition qui leur est faite :

  • accepter ou refuser l'opération proposée : les dirigeants et l'État (indispensable car donneur d'ordre) pensent qu'il n'y a pas d'autres moyens de conserver une capacité industrielle en France et qu'une solution européenne est préférable à toute autre. Mais la parité de l'opération (+13%/ cours de bourse) est bien loin de celle d'opérations de fusion qui ont affiché des primes de 30 voire 50 % au-dessus du cours de bourse, représentant un manque à gagner de 800 M € pour les actionnaires existants, compte tenu de la dilution proposée.
  • rechercher les responsabilités de cette déroute stratégique dans le ferroviaire et de la cession des activités turbine à General Electric à un prix inférieur de 800 millions € au prix annoncé aux actionnaires préalablement à la conclusion de l'opération.


Derrière cette opération viendront des restructurations industrielles, des pertes d'emploi... car les deux entreprises, Siemens et Alstom, ne pourront garder tel quel leur outil de production et leurs technologies différentes. Il serait anormal, pour ne pas dire plus, que les anciens dirigeants n'aient pas à répondre de leurs décisions qui ont amené à la cession de toutes les activités à des concurrents. D’autant plus que pendant la période où ils dirigeaient la société, leurs rémunérations variables ont été importantes suite à la performance économique et financière, sans parler des indemnités de départ (plus de 4 M € pour Patrick Kron) et retraites chapeaux payées par l'entreprise...

Les investisseurs parlent aujourd'hui d'investissement responsable, il est grand temps qu'ils agissent ensemble pour demander des comptes aux dirigeants qui ont mené des stratégies détruisant de la valeur et mettant en cause la pérennité des entreprises qu'ils ont dirigées. Cela est vrai aujourd'hui pour Alstom, mais est aussi vrai pour d'autres entreprises que chacun d'entre nous saura facilement identifier.

Vous avez parlé d'Investisseur Responsable ?


Olivier de Guerre
Phitrust

19 septembre 2017

Vivendi, 15 ans après...

La réalité de la stratégie menée par le groupe Bolloré apparaît de plus en plus claire, alors même que le groupe est minoritaire chez Vivendi. Les risques d'une catastrophe boursière liée à cette stratégie, et à la gestion de la trésorerie de Vivendi au profit du groupe Bolloré, se précisent chaque jour.

Depuis que le groupe Bolloré dispose de droits de vote double, la gouvernance de Vivendi est exécrable :
Vincent Bolloré, président du conseil de surveillance, agit comme un président exécutif ;
le groupe Bolloré, actionnaire minoritaire, dispose d’une majorité de membres du conseil et contrôle le directoire ;
des membres du conseil de surveillance de Vivendi sont actionnaires dirigeants d’Havas, qui devient une filiale opérationnelle, tandis que des dirigeants du groupe Bolloré sont membres du directoire de Vivendi ;
le président du directoire de Vivendi, Arnaud de Puyfontaine, dirige la filiale Telecom Italia (sans parler italien), même si Vivendi estime "ne pas contrôler cette filiale" (le syndrome Renault/Nissan...) ;
le rachat de Canal+ semble être plus utile pour le développement du groupe Bolloré en Afrique que pour Vivendi ;
le rachat d'Havas a un prix très supérieur à sa réelle valeur, compte tenu des alertes sur résultats publiés après le rachat, est très favorable au groupe Bolloré. Que dire du paiement en cash, qui permet de rembourser une partie de l'investissement minoritaire dans Vivendi du groupe Bolloré...

Les actionnaires minoritaires peuvent, en outre, s'interroger sur la cohérence de la stratégie de Vivendi : le groupe a vendu SFR puis Blizzard (jeux vidéo américains) pour se recentrer sur une nouvelle stratégie médias/contenus, en rachetant des parts minoritaires chez Telecom Italia et Ubisoft, tout en se renforçant chez Canal+, qui n’a pas de perspectives réelles en France... Le tout avec des changements d'équipes brutaux, car seuls les "Bolloré Boys" sont dignes de confiance.

Le plus étonnant reste l'incroyable passivité des actionnaires dispersés (qui sont majoritaires) et des régulateurs qui commencent (enfin) à se réveiller. Les medias français restent très peu critiques d'une gouvernance et stratégie mises en œuvre pour servir l'actionnaire minoritaire, estimant que cela "servirait aussi les autres actionnaires"...

En 2015, Phitrust avait alerté en assemblée générale sur les risques d'une prise de contrôle par le groupe Bolloré au profit exclusif de ce groupe, grâce au mécanisme des droits de vote double. Vincent Bolloré nous avait opposé une réponse claire : sa stratégie nécessitait une prise de contrôle, "dans l'intérêt de tous les actionnaires", comme le pratiquent ses "concurrents aux États-Unis". Nous devions en voir rapidement les fruits...

Aujourd'hui, nos craintes se concrétisent avec des résultats très en-dessous des attentes, un rachat en cash des parts du groupe Bolloré dans Havas a un prix beaucoup trop élevé, sans que l'opération soit réellement intéressante pour Vivendi, et la probabilité d'une consolidation de la dette de Telecom Italia dans Vivendi pour 25 milliards d'euros...

Il est urgent que l'AMF se saisisse du dossier Vivendi et exige une gouvernance avec un conseil de surveillance et un directoire indépendants, où les opérationnels du groupe Bolloré siègent de façon minoritaire dans les instances de Vivendi, sans confusion des rôles. Le président du conseil de surveillance n’a pas de rôle opérationnel à jouer, comme le stipule les statuts de la société.

Les actionnaires en ordre dispersé sont majoritaires chez Vivendi. Il leur appartient de se rassembler et de proposer la nomination de membres du conseil de surveillance indépendants, non liés au groupe minoritaire qui contrôle aujourd'hui la gouvernance et toutes les fonctions opérationnelles de Vivendi. Au risque de retrouver la malédiction boursière chez Vivendi, 15 ans après…


Olivier de Guerre
Phitrust

26 juillet 2017

La rentabilité doit-elle se faire au détriment du droit des parties prenantes ?

Les nouvelles édifiantes sur le plan environnemental se succèdent : nous sommes surpris de découvrir l’entente – possible cartel – entre constructeurs automobiles allemands sur le diesel (mais sont-ils les seuls à avoir délibérément bafoué les règles environnementales européennes ?) ou les atermoiements de la justice française qui rejette le droit d'indemnisation à des salariés malades ayant travaillé sur des sites industriels où l'amiante était le premier matériau transformé. Du temps de ces expositions, la production d’amiante était pourtant interdite aux États-Unis pour des raisons de santé publique... Tandis que les entreprises ont appris à présenter des stratégies ESG qui prennent en compte les risques liés aux rejets polluants, nous découvrons régulièrement avec stupéfaction que ces mêmes entreprises ont, en dépit de leur discours officiel, maintenu leurs pratiques car elles ne pouvaient/ ne savaient pas comment les améliorer.

Alors que des ONG environnementales s'évertuent à agir auprès des sociétés cotées, quel spectacle que les sifflets des actionnaires dans les assemblées générales cette année… Ce fut notamment le cas lorsque des représentants des Amérindiens sont intervenus auprès de la Société Générale ou de BNP Paribas pour demander la suspension des travaux de l’oléoduc Dakota Access Pipeline, qui détruit leur écosystème et peut créer des dommages irréparables en cas d'accident.

Que penser des actionnaires institutionnels et gestionnaires d'actifs qui présentent des stratégies ISR et sont investis dans ces mêmes entreprises alors même qu'elles ne respectent pas leurs engagements publics... Que dire de ces entreprises qui affichent de belles paroles alors que leurs actions vont à l’encontre de ce qu'elles proclament... Le fond du problème réside en fait dans la particularité de notre système financier actuel, où le seul critère qui compte est celui de la rentabilité financière. On accepte de tenir compte de facteurs extra-financiers, comme l’environnement, mais seulement à condition que cela ne remette pas en cause le modèle de l'entreprise et ne l'empêche pas de réaliser ses objectifs financiers. 

L'exemple du groupe Volkswagen est le symbole de cette schizophrénie : alors même que l'entreprise reconnaît l'existence de logiciels truqués, le conseil de surveillance est demeuré quasiment identique. Le nouveau dirigeant, issu de Porsche, ne peut pas ne pas avoir été tenu au courant des anciennes pratiques : il est difficile de croire que seules quelques personnes l’étaient. Après une très forte chute du titre, par peur de lourdes sanctions aux États-Unis, le cours est remonté, les acheteurs ayant continué à faire confiance à une entreprise qui avait trompé sciemment toutes les parties prenantes.


Il paraît que la morale ne s'applique pas aux affaires : ne nous étonnons pas qu'une très grande partie des citoyens n'aient plus confiance dans notre système économique et démocratique, à l'aune de ces affaires successives qui montrent le règne du « dieu Argent » et de la rentabilité financière quelles qu’en soient ses conséquences (sociales, environnementales). Investisseurs, gérants d'actifs, que dirons-nous à nos enfants, petits-enfants dans quelques années ?


Olivier de Guerre
Phitrust

23 juin 2017

Le Say on Pay n'est pas suffisant !

L'arrivée du Say on Pay dans les assemblées générales, avec un vote des actionnaires sur la rémunération des dirigeants, est une vraie novation en France. Elle reconnaît (enfin...) le droit des actionnaires à se prononcer sur la rémunération du premier dirigeant, ce qui est le cas, rappelons-le, pour toutes les SARL.

Certains espéraient que les actionnaires voteraient massivement contre ce qui leur était proposé : à ce jour, bien peu de résolutions Say on Pay ont été rejetées ! Probablement parce que les montants proposés sont connus depuis de nombreuses années pour la plupart des dirigeants. Peut-être aussi parce que chez nos voisins anglais et suisses, précurseurs en la matière, la contestation ne concerne que des cas très spécifiques, manifestement en fort décalage avec l’évolution de la société.

Le paradoxe est que le Say on Pay légitime en fait les rémunérations existantes, même très élevées, en sanctuarisant le variable sur des critères difficiles à appréhender par les actionnaires ainsi que les actions de performance, sans indiquer la plupart du temps ce que cela représente en valeur patrimoniale pour les dirigeants (en tenant compte du passé)...

Et l'on assiste dans certains cas à des "incongruités" validées par les actionnaires. Chez Renault, la rémunération accordée au PDG par des filiales du groupe comme Nissan n'est pas incluse dans le vote (car il n'y a aucun lien de subordination...). Chez Publicis, le président non exécutif bénéficie d’une rémunération de 2,8 M€ ainsi que d'une clause de non-concurrence de 1,8M€ annuelle, la rémunération médiane annuelle d'un président non exécutif d'une société du CAC40 étant de 574 K€… Il est vrai que la professionnalisation des grands gérants d'actifs, avec des rémunérations parfois très importantes, ne les incite peut-être pas à mesurer le décalage qui existe entre ces rémunérations exorbitantes difficiles à justifier...

Pourquoi ne pas appliquer aux sociétés cotées des règles comme celles applicables dans les banques ? À savoir : un salaire variable plafonné à 100 % du fixe annuel et des actions de performance qui ne peuvent qu’être vendues par étapes sur plusieurs années. Cela aurait le mérite de la simplification et de rendre les rémunérations compréhensibles par tout un chacun, afin d’éviter les critiques malheureusement bien justifiées...


Olivier de Guerre
Phitrust

15 mai 2017

Des droits de vote double aux...droits de vote multiples ?

L'Assemblée Générale d'AccorHotels a refusé de supprimer les droits de vote double pour les actionnaires détenant depuis plus de deux ans des titres au nominatif, 52,4% des actionnaires votant pour la résolution A qui proposait d'adopter les droits de vote simple dans les statuts de la société et de respecter le principe "une action-une voix". 

La très grande majorité des actionnaires minoritaires ne souhaitant pas une place au Conseil d'Administration ont voté pour la suppression des droits de vote double, mais les investisseurs présents au Conseil ont visiblement tous souhaité garder le régime des droits de vote double.

De facto, les deux groupes d'actionnaires de référence (JingJiang International et le concert QIA / Kingdom Holdings) détiendront d'ici un an des droits de vote double... ayant aujourd'hui 13% du capital et comme la plupart des investisseurs institutionnels ou gérants d'actifs ne détiennent pas leur titres au nominatif (par souci de simplicité, de liquidité) ils seront probablement majoritaires en Assemblée Générale. 

Espérons que ce vote ne se traduira pas par la prise de contrôle de fait d'Accor par ces actionnaires au détriment des autres actionnaires minoritaires, et que ne se reproduira pas un scénario comme celui de Lafarage où deux actionnaires minoritaires bénéficiant de droits de vote double ont agi pour un rapprochement avec Holcim, avec toutes les conséquences que nous connaissons aujourd'hui …

Le plus étonnant est que certains émetteurs essayent de mettre en avant l'intérêt des droits de vote multiple pour les sociétés cotées à Paris, afin de permettre un meilleur contrôle des sociétés en croissance à l'instar des sociétés américaines qui en « raffolent »... Que cela puisse poser un problème aux investisseurs finaux institutionnels ou privés ne souhaitant pas contrôler une société mais accompagner son développement ne semble en aucune façon être une question, ces investisseurs étant vus comme des « traders ou spéculateurs » n'ayant qu'un intérêt financier et pas stratégique ou de long terme. 

Que ces mêmes investisseurs ne soient pas associés aux discussions en cours sur la place ne pose visiblement aucun problème, comme si leur avis ne comptait pas... Et l'élection d'Emmanuel Macron qui a porté lui même la loi sur les droits de vote double il y a deux ans risque d'accélérer le mouvement pour « sauver les entreprises françaises ».

Comme nous le disons depuis de nombreuses années, les droits de vote double ou multiples n'ont pas d'intérêt pour les actionnaires minoritaires, et ce d'autant plus qu'ils nécessitent d'être au nominatif, ce qui est très complexe pour des investisseurs institutionnels ou étrangers. Mais surtout, ils favorisent ceux qui comme M. Bolloré chez Vivendi, M. Frère chez Lafarge ou  JingJiang International pour ne citer qu'eux souhaitent contrôler une entreprise sans en payer le prix... 

Soutenu par de nombreux investisseurs de long terme français et étrangers, Phitrust va continuer à participer activement aux débats au cours des Assemblées Générales sur l'impact de ces droits de vote double pour les actionnaires minoritaires et essayer de lancer un débat entre investisseurs pour attirer l'attention des pouvoirs publics et de l'AMF sur les risques que poserait l'introduction en France des droits de vote multiple dans les sociétés cotées.


Olivier de Guerre
Phitrust

18 avril 2017

TCI/Safran, le capitalisme « irresponsable »

Le fonds TCI (The Children Investment Fund) met la pression sur la société Safran, considérant que l'offre sur le groupe Zodiac Aerospace est trop chère et amène le groupe à « sortir » de sa stratégie pour une société qui ne lui apporte pas de réelle valeur ajoutée et n'est pas une bonne décision pour les actionnaires minoritaires.

Depuis de nombreuses années, ce fonds activiste n'hésite pas à agir pour « améliorer le rendement de l'actionnaire » comme il l'a fait par exemple pour la banque ABN AMRO (démantelée depuis) ou la société Euronext (qui a pris alors des décisions stratégiques qui se sont révélées une erreur). La liste est longue de ces sociétés attaquées ayant dû gérer l’actionnaire TCI qui n'avait comme objectif que la valeur créée pour les actionnaires.

Cela lui a permis de passer de 500 millions $ à plus de 5 milliards de $ d'actifs gérés avec des rendements affichés  de 18 % annuels pour ses actionnaires et un partage du rendement (à hauteur de 20%) qu'il a pour partie généreusement attribué à une fondation pour les enfants en Afrique qui a reçu plus de 5 milliards $... Ces chiffres montrent le partage de valeur entre les investisseurs et l'équipe de gestion qui leur a permis de valoriser leur patrimoine.

Cette philosophie du partage de tout ou partie des gains attribués à l'équipe de gestion a attiré de nombreux investisseurs, heureux de voir qu'il y avait aussi dans la finance des âmes généreuses, et tant mieux car les projets financés le sont avec rigueur et professionnalisme.

Mais quelle schizophrénie !  Leurs investisseurs (et notamment des fonds de pension) n'ont pas analysé à l'époque de l'opération ABN AMRO par exemple que cela a amené la banque à licencier plus de la moitié de son personnel... De même pour l'opération Euronext : aucun investisseur ne s'est interrogé sur les implications pour le marché, et donc les investisseurs finaux, d'une plate-forme franco-américaine qui n'a pas tenu longtemps... Nous pourrions multiplier les exemples, le fonds TCI entrant dans des entreprises avec un objectif de plus value liée à une restructuration, un démantèlement ou encore une cession et en sortant si possible vite une fois la plus value assurée...

L'opération Safran ne peut être analysée qu'en fonction du résultat à court ou moyen terme pour l'actionnaire. Elle doit aussi être analysée au regard d'une stratégie globale, d'une nécessité d'avoir des acteurs français et européens forts pour pouvoir exister dans un marché très concurrentiel en fort développement. Comme l'a rappelé Safran, répondant à l'interrogation sur le prix de l’opération, ce prix sera lié à la réalité, et cette opération est stratégique pour Safran.

La logique prise par TCI de contester publiquement cette opération en remettant en cause la gouvernance de Safran montre qu'ils veulent aller plus loin et que tout est possible pour arriver à leur objectif. Et elle est dans la droite ligne du capitalisme financier qui croit que « tout ce qui est bon pour l'actionnaire est bon pour la société et ses parties prenantes ». 

Les nombreux exemples de dérives liées à des actionnaires qui ne recherchaient que leur intérêt propre montre bien la très grande différence qu'il y a entre l'investisseur purement financier et l'investisseur Responsable qui accompagne des entreprises ayant un projet de qualité qui prend en compte l'intérêt de toutes les parties avec une vision de long terme.

Il est important que les actionnaires responsables analysent en leur âme et conscience l'opération Safran en refusant une vision court-termiste qui ne répond plus à notre environnement social et économique, comme l'attendent nos concitoyens et la plupart des actionnaires même minoritaires.


Olivier de Guerre
Phitrust

6 mars 2017

Safran, deux visions qui s'opposent...

Le fonds activiste The Children Investment Fund  est intervenu auprès du Conseil d'administration de Safran pour remettre en cause l'opération avec Zodiac Aerospace, considérant que cela « enlèverait de la valeur à Safran » et détournerait les équipes de direction de leur métier actuel en allant vers un nouveau métier éloigné du savoir-faire de Safran. Même si Safran y a répondu point par point, il est probable que TCI fasse tout pour faire aboutir ses idées, y compris en augmentant sa participation chez Safran et chez Zodiac Aerospace.

Car ce fonds, qui redistribue une partie de ses profits à la fondation Children for Africa, est un habitué de ces opérations agressives contre le management des sociétés pour les amener à modifier leur stratégie afin de « créer de la valeur pour l'actionnaire ». Elle lui a permis de réaliser dans le passé de très belles opérations, comme le démantèlement d’ABN AMRO ou la scission d'Euronext, sans prendre en compte l’intérêt des salariés, des clients voire des autres actionnaires, le seul objectif étant de maximiser la rentabilité à court terme...

Ce type de stratégie activiste, qui privilégié l'intérêt de l'actionnaire quelles que soient les externalités, peut présenter un intérêt dans certaines situations, notamment si le management n'écoute pas l'ensemble de ses parties prenantes. Toutefois, il a été et il est le plus souvent destructeur de valeur car court-termiste, considérant que l'intérêt des actionnaires est par construction l'intérêt de toutes les parties.

Les dérives de ce type d'approche agressive ont amené de nombreuses sociétés cotées à mettre en œuvre des stratégies à court terme privilégiant les actionnaires par le rachat d'actions, les dividendes élevés voire la cession d'activités stratégiques dans le seul but du rendement et le plus souvent au détriment de l’investissement à long terme et de la rémunération des salariés.

 De nombreux actionnaires privés et institutionnels les ont suivi pour maximiser leur rendement mais ont-ils vraiment pris conscience des effets induits de leurs stratégies purement financières ? Lors de l'opération de TCI sur ABN Amro, je me rappelle une discussion avec le dirigeant d'un des grands fonds de pension américain qui n'avait pas pris conscience que la stratégie proposée par TCI amenait à licencier la moitié du personnel en Europe...

À l'heure où les choix des urnes en Europe ou aux États-Unis nous montrent la très grande inquiétude de nombreux salaries laissés pour compte, il est important que les investisseurs privés et institutionnels prennent conscience des conséquences des stratégies purement financières.

À cet égard, l'opération Safran-Zodiac Aerospace sera révélatrice du comportement des actionnaires, alors que les deux parties souhaitent réaliser cette opération. Pour Safran, il s'agit de diversifier ses activités face à ses principaux clients aéronautiques. Quant à Zodiac Aerospace, le but est de s'ancrer dans un groupe plus large, lui permettant de mettre en œuvre sa stratégie de rebond sans risquer une opération inamicale qui la remettrait en cause et aurait certainement un impact négatif pour l’emploi.


Olivier de Guerre
Phitrust

17 janvier 2017

2016, année de transition vers l'Investissement Responsable ?

En reprenant les principaux événements de gouvernance survenus en 2016, il nous apparaît qu'ils reflètent des tendances de fond à l'œuvre aujourd'hui dans notre monde économique, évolutions que certains investisseurs financiers ne peuvent plus ignorer.

Sur le plan des rémunérations, l'introduction du Say on Pay en France a été un grand succès, la plupart des entreprises voyant leurs actionnaires les soutenir à une large majorité. Qui plus est, la décision du Conseil de Renault de ne pas prendre en compte le vote consultatif des actionnaires a amené le gouvernement à légiférer sur un vote exécutoire dès 2017 pour les rémunérations fixes et variables. Nous le demandions depuis plus de dix ans, constatant que dans toute SARL en France ou dans les sociétés en commandite (Michelin, Lagardère...), les actionnaires votaient en AG les rémunérations des gérants, ce qui les légitimait et/ou permettait de s'y opposer. Même si nous regrettons qu'il ait fallu autant de temps (le MEDEF s'y était opposé lorsque Thierry Breton était Ministre des Finances en 2006...), cela montre une véritable évolution des mentalités de toutes les parties prenantes pour donner aux actionnaires un véritable pouvoir de décision.

Sur le plan de la transition énergétique, de nombreuses entreprises ont enfin détaillé les plans mis en œuvre pour être « plus vertueux », certainement aidés par l'évolution des législations dans de nombreux pays, mais bien plus encore car elles sont de plus en plus conscientes que cela est nécessaire pour fidéliser leurs clients, convaincre leurs salariés, séduire les investisseurs. « L'affaire Volkswagen » montre à quel point la décision d'une des premières entreprises automobiles mondiales de ne pas respecter des normes anti-pollution pour devenir le N°1 mondial entraînent l'ensemble du secteur (dont beaucoup usaient des mêmes pratiques...) dans la tourmente et détourne les clients des modèles les plus polluants, accélérant une transition vers des modèles hybrides ou électriques. Alors que nous avions sans succès alerté de nombreux investisseurs sur les effets induits de certaines politiques industrielles, un grand nombre d'entre eux a aujourd'hui intégré cette question dans leur décision d'investissement. Dans certains pays comme la France, l'obligation donnée aux institutionnels de « s'engager pour la transition énergétique » les amène à modifier profondément leurs pratiques et analyses des risques liées à la transition énergétique. Et le mouvement anglo-saxon « Divest-Invest » est une autre façon pour les institutionnels de se désengager des industries considérées comme les plus polluantes. 

Sur le plan social, les entreprises cotées de l'OCDE prennent de plus en plus en compte dans leur stratégie et politiques opérationnelles les questions liées au travail des enfants, au travail non ou mal rémunéré, dans leurs propres usines ou chez les sous-traitants, entraînant de facto une amélioration des conditions de travail. Les questions liées à la Coupe du monde de football au Qatar ont ainsi mis en lumière des pratiques dénoncées depuis des décennies par des associations et rarement relayées dans les médias, obligeant les autorités à prendre plus en compte les questions sociales. Cela ne veut pas dire, loin s'en faut, qu'il n'y a pas encore de multiples sujets compte tenu de la situation spécifique de chaque pays et de la concurrence exacerbée, mais la prise de conscience des investisseurs est réelle, notamment suite aux alertes parvenues par le biais des réseaux sociaux auxquelles il n'est plus possible de ne pas réagir si elles sont confirmées.

Est-ce à dire que l'ensemble des investisseurs s'est converti à l'Investissement Responsable ?  Loin s'en faut, mais le risque d'être pris à contre-pied par les médias, les réseaux sociaux et les législations, quand elles existent, obligent tout investisseur à intégrer les questions ESG dans son analyse et à modifier ses décisions d'investissement.  Nous sommes convaincus que ce mouvement n'en est qu'à ses débuts et qu'il s'amplifiera dans le futur, amenant les investisseurs à s'engager de plus en plus sur ces sujets ESG.

Un souffle d'optimisme en cette nouvelle année ! Nous vous souhaitons une très bonne année 2017.


Olivier de Guerre
Phitrust